Blog Sardinophile : La Joie de la Vieille Sardine
Blog Sardinophile : La joie de la vieille sardine
Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, une (légère) digression. Mais rassurez-vous, il y a des passerelles tout de même.Quelle est donc cette étrange passion pour une simple boîte de conserve de poisson ? Qui plus est de la sardine, clairement pas le poisson le plus noble ! Attendez un peu, vous allez comprendre !
Un succès industriel
L'histoire de la conserve de sardine est l'histoire d'un produit pour pêcheur pauvre qui deviendra le premier produit alimentaire à s'industrialiser tout en gagnant ses lettres de noblesse, rivalisant même avec le fois-gras.La sardine en boite est née de l'abolition de l'esclavage qui laissa de nombreux marchands sans travail mais pas sans réseau, notamment à Bordeaux et à Nantes. Ainsi, les biscuiteries, les sucreries et les conserveries se développèrent, utilisant les ressources des colonies.
Autrefois, surtout sur les côtes bretonnes, les sardines qui n'étaient pas mangées fraiches, était cuites au beurre puis misent dans des grandes boites (les "boëttes") en gré ou en bois. Cette technique ne permet qu'une conservation d'un mois, tout au plus. Et le poisson confit ne rivalise pas avec sa version fraiche (loin de là !).
Au début des années 1810, le nouveau système de conservation breveté par Appert (qui donnera le verbe "appertiser") voit ses premiers débouchés commerciaux, (hélas !) encore minces. Installé à côté d'une boutique vendant des conserves Appert, Joseph Colin, spécialiste de la friture de sardine au beurre voit l'opportunité qui s'offre à lui. Son fils, Pierre Joseph, remplace le beurre par de l'huile. Pas de l'huile de Provence au goût trop prononcé, ni Espagnole, qui est jugée abominable à cette époque, mais Italienne, aux arômes plus subtiles. La nouveauté qui va tout changée, c'est l'abandon du verre par du fer-blanc. Son idée de génie sera ensuite de réduire la taille des boîtes.
Toutefois, l'image de piètre qualité colle toujours à la peau du poisson. En 1822, on pêche une telle quantité de sardines qu'il faut les mettre en boîte pour espérer les écouler. Le prix dérisoire demandé permettra une première approche du produit à cette époque, car la conserve de sardine était très onéreuse en temps normal.
La sardine connaitra un succès grandissant, même dans les régions moins consommatrices de poisson, alors que la viande et les légumes en boîte ne décolleront jamais. En effet, la sardine en boite, de bonne qualité est meilleure que sa version fraiche, contrairement aux autres produits en boîte.
La bourgeoisie fortunée va commencer à s'emparer de ce produit et les ventes grimperont. L'entreprise Colin sortira en 1836 "l'immense" quantité (pour l'époque en tout cas) de 36 000 boîtes de sardines (parmi d'autres produits) avec 60 ouvriers.
L'année 1852 sera déterminante pour la sardine : l'invention de l'autoclave. L'industrialisation devient possible, et cela se ressent quelques années plus tard : les usines comptent alors plusieurs centaines d'ouvriers.
Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, environ 80 % de la production part à l'export sur les tables des élites, ainsi que la marine. Un âge d'or s'installe même lors de la Guerre de Sécession aux États-Unis, car les États Confédérés sont de très gros consommateurs de conserve. Les conserves de sardines bretonnes (dont Nantes à l'époque) sont de loin les plus appréciées. Puis, après cet état de grâce, les ventes baissent avant de profiter de l'expansion de l'Empire colonial Britannique et avant de subir de plein fouet le krach boursier de Berlin et de Vienne en 1873. C'est au tour des pays de l'Est, et de la Russie en particulier de voler au secours de la sardine dans un mouvement d’européanisation. Vin, foie gras, sardine à l'huile, huitre... Tout y passe.
Le dernier coup de pouce à la sardine, à cette période, la mode est au pique-nique et aux virés à l'océan. Comprenant parfaitement le potentiel de cette mode, les sardiniers communiquent et réalisent des boîtes aux noms évocateurs : "Globe-Trotteurs", "Yacht-Club", "Velo-Sport"...
C'est ainsi que l'image de poisson sans attrait, la sardine devint un produit de luxe. Après guerre, la sardine se fait rare en Bretagne et en Vendée, et de plus en plus de sardines viennent du Maghreb, arrivant congelées, détériorant dramatiquement les qualités gustatives du poisson. La bourgeoisie s'en détourne donc, et les prix chutent. La plupart des conserveries vont abandonner la mise en boîte manuelle et la sardine en boîte deviendra un produit populaire bon marché, bien moins enthousiasmant.
Mais la sardinophilie n'a pas dit son dernier mot et ces dernières années voient de nouveaux amateurs s'y intéresser (dont votre serviteur, qui a toujours détesté les sardines de grandes surfaces). La ressource en poisson se raréfiant, les normes deviennent drastiques et les prix ont tendance à remonter en ce moment (bien qu'une boîte haut de gamme soit encore abordable : environ 5 € pour les plus chères)
Si vous souhaitez en savoir plus sur cette aventure étonnante, c'est ici.
La sardine
La sardine est un petit poisson de 10 à 20 cm de long, au dos vert ou bleu, et au flanc argenté. Il se nourrit de zooplancton, et se reproduit d'octobre à mai. La saison de pêche s'étale de juin à novembre.Un sardinophile s'attache à la manière dont le poisson a été pêché afin d'assurer un goût savoureux et une belle présentation. La méthode la plus douce utilisée, et la seule valable pour tout sardinophile qui se respecte, est la pêche par sardiniers bolincheurs. Il repère le banc de poisson par géolocalisation puis laisse filer le filet avant d'encercler le banc. Un système de filin permet la fermeture, visant à remonter doucement les poissons avant de le mettre en cale sur un lit de glace. Cette technique donne une pêche plus qualitative que les chalutiers pélagiques car elle n'étouffe pas le poisson, ni ne l'écorche.
Chalutier pélagique |
En France, on recense 27 bolincheurs. Une fois la sardine pêchée, c'est une course contre la montre qui s'engage car le poisson perd très vite sa fraicheur et sa texture. C'est pourquoi, pour les sardines bas de gamme, les poissons sont surgelés. Malheureusement, un tel traitement détériore la texture et les arômes de la sardine. Toute conserverie sérieuse utilisera donc les sardines fraiches.
Bolincheur |
Une fois pêché, les sardines sont proposées à la criée aux 8 conserveries à l'ancienne pour le haut de gamme (sur les 16 en France).
On compte la Belle-Illoise à Quiberon, Gonidec à Concarneau, Gendreau à Saint-Gilles, Furic à Saint Guénolé, Capitaine Cook à Plozévet, Courtin également à Concarneau, Chancerelle à Douarnenez et la Quibreonaise, elle aussi à Quiberon.
Une fois sélectionnées, elles seront mises à frire le plus souvent à l'huile de tournesol, puis étêtées et équeutées. Une fois prêtes, les sardines sont placées à la main dans une conserve additionnée d'une huile (d'olive généralement, mais parfois avec du beurre ou de l'huile d'arachide). On notera ici que la méthode de cuisson des poissons à une grande importance dans le résultat final : ils peuvent être passés au four, au grill, ou mis à frire.
La sardinophilie
Un sardinophile est un geek de la sardine en conserve. Il aime pouvoir savoir quand à eut lieu la pêche, où et par quel bateau. C'est pourquoi certaines marques prennent bien soin d'indiquer le nom du bateau, la date de pêche et le millésime (redondant avec la date de pêche, me direz-vous). Mais le plus important sont les mentions "sardines fraîches" et "à la main", garantissant un travail à l'ancienne donnant des boîtes bien remplies et à l'aspect visuel impeccable.On note que la date de pêche ou le millésime doit parfois se déduire de la DLUO (Date de Limite d'Utilisation Optimale). Un an de garde est le minimum pour confire la sardine, 2 à 3 ans est souvent le bon compromis entre patience et plaisir. Au delà de 5 ans, il y a risque d'oxydation et l'évolution est plus lente. Ceci dit, un sardinophile aura toujours les yeux qui brillent si vous sortez une belle conserve d'une douzaine d'années. D'une façon générale, plus une boîte (de qualité) vieillira, et plus la sardine deviendra fondante, son arrête centrale n'aura plus ce côté croquant et parfois un peu amer. L'huile devenant de plus en plus orangée, transmettra toujours plus ses arômes aux poissons, et inversement. En un mot, la boîte se bonifiera, jusqu'à un certain point.
La Quibronaise, 12 ans d'âge |
Certaines marques comme Petit Navire, Capitaine Cook, ou Parmentier, rachetées, jouent la carte de la nostalgie au détriment de la qualité, ce qui leur vaut le mépris de tout bon sardinophile.
Mais le sardinophile aime aussi à distribuer des notes et écrire des commentaires de dégustation. Pour cela, il existe des règles :
- Il faut normalement 3 boîtes d'une même référence pour apprécier la variabilité des lots.
- On évalue le visuel (couleur, remplissage de la boîte, aspect soigné de la présentation et aspect de la peau des poissons), l'odeur, la saveur, la texture et la palatabilité (le plaisir ressenti lié à la texture an fonction de l'effritement ou non du poisson par exemple), la digestibilité et la qualité de l'huile utilisée (ainsi que sa façon de se marier avec le poisson). Pour ce dernier point, à l'heure actuelle, les conserveries n'utilisent que des huiles relativement standards, pour diminuer les coûts. Peut-être un jour verront nous des sardines baignant dans des huiles d'exceptions ?
Les puristes servent les sardines dans leur boite, sur un lit d'algues, mais n'ayant pas d'algues sous la main, une salade fait bien l'affaire. Prenez une belle tranche de pain, et c'est tout. Prenez bien soin de saucer l'huile à la fin ! Attention toutefois : on est pas loin des 500 calories si vous suivez ce conseil !
Quelques références
Mais par où commencer ?Sachez que les 3 pays les plus renommés parmi les sardinophiles sont l'Espagne, le Portugal et la France. Mais on peut trouver de jolies boîtes dans bon nombre d'autres pays.
En Italie, on retient :
- Pollastrini di Anzio à l'huile d'olive, pêché en méditerranée, en ce moment en rupture de stock
Au Portugal, on trouvera parmi d'autres :
- La Conservas Pinhais, avec l'une de ses (nombreuses) marques, Rios à l'huile d'olive, à 3€90.
- La Conserverie Ramirez , et sa marque La Rose à l'huile d'olive, à 3€90.
- Jose Gourmet à l'huile d'olive vierge extra, à 5€20
- La Conservas de Pescados, et sa marque Briosa à l'huile d'olive à 3€90
- La Conservas da Povoa de Varzim, et sa marque Cego do Maio à l'huile d'olive à 3€90
En Espagne, vous trouverez notamment :
- La Conservas Angelachu, petites sardines à l'huile d'olive, à 4€90
- Ortiz, sardine à l'ancienne, à 4€50
En France, une longue liste vous attend :
- La Compagnie Bretonne du Poisson à l'huile d'olive bio, à 3€90
- La Quibronnaise à l'huile d'olive vierge extra, à 5€00
- La Quibronnaise à l'huile d'arachide, à 16€50 les 5
- La Belle-Illoise aux olives de Nice, à 12€25 les 3
- La Belle-Illoise, et sa marque Saint-Georges, à 14€95 les 5
- La Belle-Illoise à l'huile d'arachide, à 14€35 les 5
- La Conserverie Les Jeannettes à l'huile d'olive, à 19€40 les 5
- La Conserverie de Gonidec, avec sa marque Les Mouettes d'Arvor, sardines de saison à3€80
- La Perle des Dieux Label Rouge, à 3€95
- La Conserverie Courtin à l'huile d'olive, à 2€90 la boîte de 69g (petite donc)
Si vous voulez vous plonger à corps perdu dans la sardinophilie, je ne peux que vous conseiller deux excellents sites sur lesquels j'ai trouvé bon nombre d'informations :
- Le site de la sardinophilie
- Le site d'un dégustateur de sardine
En espérant vous avoir transmis un peu de ma passion naissante pour ce produit si mésestimé, je vous laisse, j'ai une Saint-Georges à ouvrir moi !
Votre serviteur et sommelier, Petit Chapeau Rouge.
Commentaires
Enregistrer un commentaire