Blog Vin : Le Marcillac du Domaine Matha

Le Marcillac du Domaine Matha

On est aujourd'hui en Aveyron, par une magnifique journée de février. Sur les collines alentours, de grandes griffures sanglantes. Nous sommes dans la région du Rougier. Qu'elle porte bien son nom avec son argile et son gré rouge violacé !

A Bruéjouls, village connu pour posséder le plus grand tastevin du monde (ou tassou) et organiser une fête qui attire tout l'Aveyron, dans un fond de vallée (ou de vallon comme on dit en Aveyron), se niche le domaine amoureusement entretenu en bio par Jean-Luc Matha et son épouse Françoise. Les 16 ha de vignes, certaines plantées en terrasses sur les hauteurs, offrent un panorama magnifique.
Jean-Luc. Il suffit de prononcer son nom dans la région de Rodez pour qu’un sourire se dessine sur les lèvres de votre interlocuteur : “Ah ! C’est un sacré personnage Jean-Luc”, “Il a dû t’en raconter sur son père, son grand-père, et tout…”.

Ce “personnage”, comme tout un chacun aime à l’appeler, a fait un rapide saut au petit séminaire, pour devenir prêtre. Mais s’il n’a pas rencontré Dieu à ce moment, c’est dans les vignes qu’il fut appelé. Dans les années 70, sans formation, il s’installe et cultive la vigne en vendant à la coopérative. Et puis, Françoise est arrivée, et l’idée de vendre son vin sous sa propre étiquette, en suivant sa propre philosophie suit son chemin. En 1982, il est donc l’un des premiers à quitter la coopérative.

Et de la philosophie, l’homme en a. Avec une grande bienveillance et une indéniable bonhomie, Jean-Luc nous explique sa vision du monde à travers quelques préceptes : "tu aimeras ton prochain comme toi-même", "crois en toi", "quand tu tombes, relève toi", "peu importe l’opinion des autres", il "faut renouer le contact avec autrui", "tu dois répandre la joie"… Une discussion pour le moins rafraîchissante, qui lui accorde toute ma sympathie.
Au milieu des cuves, un tank à lait. Un moyen économique et efficace de rafraîchir la vendange

Grand amoureux de la période de Noël, il a organisé un rituel pour le moins singulier. Non content de décorer une ruelle entière, en y diffusant de la musique, il demande à tous les habitants du village d'empaqueter les cadeaux de leurs enfants et de les mettre à disposition dans la salle communale. Jean-Luc, déguisé en père-noël, dans son chariot tiré par des ânes, récupère les cadeaux et les distribue en faisant du porte-à-porte.

Côté vin, on est guère surpris par les décisions du domaine : depuis 2016, il est certifié en bio, vendange manuellement, n’utilise que des levures indigènes et va jusqu’à utiliser de la musique et des huiles essentielles pour protéger sa vigne. Le soir venu, parfois, il aime à coller l’oreille contre ses cuves pour écouter son vin.
Les Matha ont un fils : Hugo. Après avoir caressé l'idée de devenir cuisinier, il a subitement changé de voie, et ça lui a bien réussi puisqu'il est devenu créateur haute couture et designer. Ne reniant pas ses origines, il s’occupe de créer des étiquettes pour ses parents.

Mais la météo change à Marcillac. Les gels sont plus fréquents, le vent d'Autan, chaud et de plus en plus violent, s'il sèche les vignes, prévenant certaines maladies comme le mildiou et l'oïdium, casse les sarments. Mais ce qui fait le plus évoluer l'appellation c'est sans doute la température qui monte en été, favorisant des vins de plus en plus riches. Mais Jean-Luc, lui, ne répond pas au sirène des vins gourmands, bodybuildés, aguicheurs. Il revendique faire des vins de soif qui sont non seulement, pour lui, la signature du Marcillac, mais en plus est synonyme de convivialité. Les fûts de bois sont bannit du domaine, sauf pour un foudre centenaire dans lequel la cuvée Perafi (Pierres Fines) s’arrondit sans gagner en boisé. Très peu dosé en sulfite, il laisse un peu de gaz pour les protéger, mais rien qui ne s’en aille en faisant tourner le verre. 

Mais voici venu le temps de la dégustation. Jean-Luc ne résiste pas à l'envie de mettre de la musique paillarde tout en sortant le saucisson à l'huile. Le saucisson à l'huile ! Voilà bien une trouvaille Aveyronnaise ! Prenez un saucisson sec, mettez le dans un bocal fermé avec de l'huile et retournez le. Il paraîtrait que l'huile sert à étanchéifier le bocal, évitant au saucisson de trop sécher. Si le résultat est bien sympathique, je ne vous cache pas qu'il est un petit peu gras.

Pour les vins, sachez que le monsieur n'aime pas le souffre. Les doses sont infinitésimales donnant lieu parfois à des vins pas très stables.

La dégustation du Domaine Matha

Cuvée de Caldebrit : issu à 70 % de Muscat à Petit Grain (cépage introduit dans la région dès 1700) complété par de l’Ondenc et du Chenin. Appelé vin blanc au domaine, il est en réalité plus près du vin orange. En effet, les cépages blancs sont vinifiés comme du vin rouge, avec la peau et les pépins, donnant une couleur orangé, des arômes sur la pomme jaune, voir le cidre, et une finale un peu tannique. Je dois bien avouer que c’est la première fois que je goûte un vin orange de muscat. Les arômes muscatés, un peu fleur d’oranger, de rose, contrebalancent assez efficacement les arômes de pommes jaunes. Dans le verre, le nez se révèle et ne cesse de changer, un vrai tourbillon. En bouche, il est un peu austère pour commencer, mais après plusieurs minutes, il s’assouplit, s’arrondit. Une bien jolie découverte, qui ne sera pas forcément au goût de tous, mais qui interpellera sûrement. Dommage que les quantités soit aussi limitées.

Pissenlit : les Matha cuisinent beaucoup les feuilles (en salade, à la poêle...), et la fleur (confiture…). C'est donc naturellement qu'ils en font aussi macérer dans du vin blanc. Apéritif à l’odeur un peu étrange, c'est comme si une plante verte avait été mise à macérer dans de l’eau. Vous l'avez compris, ce n'est pas pour moi, bien que bon nombre de personnes l'apprécient.

Ratafia 2018 : Doté d'une belle robe rouge, dégageant des arômes de fruits rouges et de bonbon au chocolat fourré au caramel, puis curieusement un côté poire se mêle à la fête. La bouche est bien équilibrée entre alcool, tanins et sucre. Un apéritif de qualité en somme, que j'imagine très bien avec une tarte poire, chocolat également.

Cuvée Vignou 2019: Il s'agit d'un rosé de presse, très coloré, à base du cépage de Marcillac : le fer servadou (que l'on nomme mansois là-bas). Des fruits rouges explosif, allié à une touche épicée et légère verdure typique du cépage qui apporte un peu de relief. Assez rafraîchissant, il a toutefois un peu de structure, ce qui est étonnant pour un rosé de presse. A contre-courant des rosés de nos jours, il se fait une place sur les tables estivales sans soucis.

Laïris 2016 : Le vin le plus simple du domaine. Léger et très souple, il n'est pas forcement exubérant, dévoilant des arômes de fruits rouges et d'épices.

Laïris 2015 : C'est là que l'on découvre un autre aspect du Domaine Matha : la volonté de retrouver la spécificité du millésime dans le vin. Sans surprise donc, le vin est plus compoté avec davantage de matière, mais toujours une belle digestibilité.

Cambas Rojas 2013 : Avec un rendement de 40hl/ha, il est plus concentré que le Laïris mais toujours léger et digeste. Outre de beau fruits rouges frais, un côté pierre chauffée au soleil donne une autre dimension. Avec les épices et la légère verdure, il donne une complexité appréciable tout en restant dans l'esprit "vin de soif" si cher au vigneron. "Cambas Rojas". Un nom qui sonne bien occitant qui signifie "Jambes Rouges". Mais pourquoi ce drôle de nom me direz vous ?.Et bien, dans cette région riche en argile collante et d'un rouge vif, autrefois, quand les vignerons rentraient de la vigne, leur bas de pantalon était tout rouge d’argile. On surnommait donc les vignerons de la région les "cambas rojas".

Peirafi 2012 : Les rendements tombent à 32hl/ha. Mais ce n'est pas la seule spécificité de ce vin. C'est en effet la seule parcelle sur éboulis calcaire, d'où son nom qui se traduit par "pierres fines". On reconnaît immédiatement le fer servadou, mêlé de fruit, une touche de violette, d'épices (poivre), un très léger côté vert sans aller jusqu’au poivron, une bouche plus structuré avec plus de matières, un côté fruit confit. Pigé au pied (test de la chandelle) avec très rarement quelques rafles.


La dégustation se finissant, nous laissons notre hôte dans son petit jardin en permaculture, tandis que nous repartons avec quelques belles potions et surtout des étoiles dans les yeux. Il est de ces hommes que l'on n'oublie pas. Si vous avez la chance d'aller du côté de Rodez, n'hésitez surtout pas à faire un détour par ce monument de la région. 

Votre serviteur et sommelier, Petit Chapeau Rouge.

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