Blog Cidre : Johanna Cécillon, Pomme Bretonne



Johanna Cécillon, la pomme bretonne

Johanna travaillait dans l’aéronautique alors que Louis, neveu du célèbre vigneron Jean-Louis Grippat à Saint-Joseph (Vallée du Rhône Nord), était commercial automobile. Un beau jour, en 2011, ils décident de reprendre la ferme du grand-père en Bretagne (la Grange aux Moines) de Johanna afin de se rapprocher de la nature. Le grand-père avait une petite réputation et vendait sur les marchés, mais ce n’était pas son activité principale. Johanna et Louis laisse de côté les autres productions et plantent massivement 14 variétés de pommiers sur 11 ha, explorant trois type de sols : Limoneux riche et profond qui donne un cidre plus léger, granitique peu profond qui donne plus de minéralité, et limoneux granitique, plus équilibré.

Nous retrouvons Louis Cécillon au domaine à Sévignac (Côtes d’Armor, Bretagne). L’homme, à l’œil vif, est à la fois pédagogue et humble. Nous le suivons à travers une lisière plantée de châtaigniers, et de chênes jusqu’à une prairie plantée de pommiers Haute-Tiges. Il nous explique que si le terroir donne plus ou moins de caractère au cidre, c’est avant tout les variétés de pomme qui donnent le cidre. Souhaitant non pas copier les cidres les plus réputés de Normandie et d’ailleurs, mais s’inscrire dans leur terroir, les Cécillon cultivent des variétés anciennes et locales.

Louis, le pédagogue passionné du Domaine Cécillon

Alors que l’on fauche la parcelle où nous nous trouvons, il nous explique également la greffe au milieu des senteurs d’herbes coupées : il s’agit de choisir en premier lieu une variété de pommier ayant des racines bien développées, puis on greffe dessus une variété ayant un tronc bien droit mais pas trop haut, et enfin, la variété qui donnera les pommes voulues est greffée. Il est possible de ne pas greffer entre les racines et les branches, mais c’est souvent plus pratique. Louis nous explique également que le grand-père de Johanna s’amusait parfois à greffer plusieurs variétés de pomme afin que l’arbre produise sur une plus longue période ou pour trouver des pommes variés sur un seul arbre. Malheureusement, un tel arbre ne dépassera que rarement les 50 ans.


Bio, et en route pour la biodynamie, il y a réellement la volonté ici de créer un écosystème qui soit plus résilient aux changements climatiques qui se font déjà bien sentir (moins de bruine, un temps plus sec, des pluies plus brutales dans la région d’après Johanna). Les Cécillon ont pour projet d’accueillir des troupeaux sous leur pommier, comme ça se faisait autrefois, pour nourrir cet écosystème.

Le Domaine Cécillon ou la recherche de LA pomme

Lors de la récolte, (qu’il nous avoue beaucoup moins stressante que pour la vigne, car elle se déroule sur une période plus longue), tout est fait à la main. La consigne ? Ramasser ce que vous avez envie de manger. Les pommes cognées, ou pourries (contrairement à ce que j’avais pu entendre dans mon enfance) ne sont pas intéressantes dans le cidre. Elles donnent des arômes terreux et déviants. Par contre, pour les poires, qu’ils ramassent chez un voisin, la récolte doit se faire très rapidement.

Une fois récoltées, les pommes sont entreposées en palox (grosse caisse en bois) afin qu’elles gagnent encore en maturité. 15 jours plus tard, on les trie de nouveau (les pommes du fond sont généralement abimées) et elles sont râpées puis passées en presse pneumatique. Chaque variété est fermentée dans une cuve dédiée.

Le Domaine Cécillon et la « cidrification »

C’est là que les choses sérieuses commencent. La fermentation, en fonction de la température extérieure, peut se faire très vite. Dans les régions chaudes (comme le pays basque), la fermentation est tellement rapide que le sucre est entièrement consommé et qu’à moins d’ajouter du sucre, il n’y pas de prise de mousse en bouteille. C’est pourquoi, le cidre basque est généralement non pétillant.

Pour le soutirage, Louis nous explique qu’il faut travailler par temps clair, car la dépression (tempête) a tendance à remuer les lies et provoque de bien mauvaises surprises à l’ouverture de la bouteille (beaucoup de dépôts et un goût levuré, surabondance de mousse…). Si le poiré et le Divona sont intégralement travaillés en cuve inox, les deux cidres haut de gamme (Nérios et Nantosuelto) sont vieillis en fût d’hermitage blanc de 400 L (du Domaine Cécillon évidemment). Ensuite a lieu la mise en bouteille manuelle. Les bouteilles sont mises à l’horizontal pour la prise de mousse. Lorsqu’il y a trop de dépôts, un problème récurant sur le poiré, le dégorgement se fait à la volée.

Curieux et passionnés, les Cécillon ont des rapports très étroits avec les autres cidriculteurs qui changent la face du cidre en France : Eric Bordelet, Cyril Zangs, François Séhédic, Damien Lemasson, Louis Dupont, Pascale et Bixintxo Aphaule (domaine Bordatto)… Cette proximité lui permet de toujours s’améliorer, d’innover, de se surpasser.

A noter qu’ils font distiller une partie de leur cidre. Soit ils le font vieillir en fût de 110 L pendant 12 ans (avec le cidre du grand-père de Johanna distillé à l’époque), soit l’eau-de-vie reste 4 mois en cuve inox afin qu’elle s’arrondisse. Par ailleurs, les Cécillon envisagent l’achat d’un alambic.

Enfin, la dégustation de Johanna Cécillon






Dragon blanc (eau de vie blanche) : pomme rouge, poire, léger côté terreux, fleur blanche sauvage, une certaine suavité au nez (comme du miel). Après le repos, la terre et la pomme prennent du recul et de la pêche apparaît ainsi qu’un côté tilleul et une touche de cerise. Fougueux avec un développement assez doux pour une eau-de-vie jeune, une finale fruitée et florale et légèrement miellée. Je ne la boirais pas forcément pure, car la bouche est un peu trop impétueuse pour moi, mais en cocktail (travaillé en sour par exemple) elle est très agréable.

Eau-de-vie 12 ans : Des arômes de caramel, avec un peu de résine assez intéressant, un côté pomme tatin. La bouche est souple mais assez discrète.

Le poiré : Encore sur la réserve, peu expressif, ferme, mais avec une jolie tension toutefois. A regoûter dans 2 ans

Divona 2017 : Du nom de la déesse des sources sacrées. Des fruits (pommes mûres, touche de pêche et d'abricot), des fleurs (jaune et blanche), un côté galet chauffé, du miel d'acacia, une bouche souple et vive. Au final un cidre frais avec une structure tannique présente, un bien jolie nez frais. Pour moins de 10 €, c’est du beau travail. Je le propose plutôt en entrée ou sur table avec du poisson léger le plus simplement du monde

Nérios 2018 : nez très fermentaire (sur la banane, la fraise tagada). Je suis un peu surpris mais Louis m’indique qu’elle vient d’être embouteillée et que la fermentation n’est pas tout à fait terminée. La bouche est intense, amère et tannique, un peu granuleux et très serrée, austère. Lorsqu'on lit les commentaires de dégustation sur cette bouteille, l’austérité de la bouche ressort systématiquement. D’après Louis, c’est le style de la région de Dinan qu’ils ont voulu préservé. Loin de moi l’idée de critiquer cette vision, mais il me semble qu’une bouche plus onctueuse servirait mieux le propos. Etant donné que la bouteille n’avait pas tout à fait fini de fermenter, je m’en suis acheté une pour la regoûter plus tard, sans doute avec une dinde, ou même, un pot-au-feu.

Nantosuelta 2017 : au nez des arômes de miel prépondérant, des fruits à noyau confits, une bouche onctueuse et douce bien soutenue par une juste acidité, et une finale qui se déroule longtemps. On touche là à l’expression phare du domaine à mon sens. Même si Nérios porte l’ADN des Cécillon, il n’est pas encore arrivé à son potentiel. Nantosuelta est une cuvée moelleuse qui demandera, de part son sucre résiduel, à être bu plutôt en dessert, avec une jolie poire tatin.

Le niveau de leurs cidres, à mon sens, est un peu moins abouti que ceux de Zangs ou de Bordelet, et je crois que les Cécillon en ont conscience. Cependant, leur énergie, leur humilité et leur curiosité les fera progresser à coup sûr. Une chose est certaine, ce domaine est à surveiller de très près, et il pourrait réserver des surprises dans quelques années. Si vous êtes dans le coin, passez donc les voir. Vous y découvrirez une passion et une générosité communicative, sans faux semblant.

En définitive, le Domaine Cécillon, c’est une belle aventure qui en est encore à ses débuts et pourtant qui a réussi à se hisser au sommet du cidre breton. Leur talent et leur passion donnera sans conteste une dimension nouvelle à la profession dans les années à venir.

Votre serviteur et sommelier, Petit Chapeau Rouge 







Domaine Johanna Cécillon
La Villime
22250 Sévignac

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